Le rideau de Milan Kundera

Publié le par Petrus

Poursuivant son oeuvre théorique entamée avec l'art du roman, le grand romancier tchèque naturalisé français Kundera tente de dresser dans le rideau une histoire du genre romanesque. Se retrouvent dans le grand chaudron de la "weltlitteratur" selon Kundera Cervantes, Rabelais, Fielding, Balzac, Tolstoï, Flaubert, Kafka, Musil, Gombrowitz, Garcia Marquez... Une accumulation de noms qui transcendent les siècles et les nationalités. C'est l'occasion aussi pour le romancier de régler ses comptes avec la critique selon lui enfermée dans les bornes étroites d'un nationalisme mortifère, qu'il soit celui des grandes nations ou des petites. Dans ce vaste panorama de la littérature européenne, le lecteur familier de Kundera retrouvera un certain nombre de notions chères au romancier, comme celle du rideau déchiré qui apparaissait dans les tableaux de Sabina (l'insoutenable légèreté de l'être), la notion de kitsch, indissociable de l'esthétique de l'Europe centrale, la blague. Kundera parle aussi de l'incompréhension entre Français pour qui la faute suprême est la vulgarité et les européens de la Mitteleuropa pour qui le kitsch est le summum du mauvais goût. Il s'attache à définir la spécificité du roman face aux autres genres : une oeuvre liée à la notion d'individu qui met en jeu des pensées complexes sans leur donner l'aspect du dogmatisme, une oeuvre habitée par le doute, par le rire, qui donne aux aspects triviaux de la vie le moyen de s'exprimer et d'acquérir une beauté et une certaine grandeur. Et le grand romancier de s'inquiéter de la possible fin prochaine du roman comme genre littéraire, l'individu disparaissant pour laisser la place à la collectivité comme en des temps plus anciens.

Rien d'extraordinairement novateur dans cette oeuvre théorique, Kundera ne faisant comme à son habitude que développer des thèmes déjà abordés d'une manière ou d'une autre dans ses oeuvres précédentes. Une oeuvre qui ne nous épargne pas les truismes (la poésie est impossible à traduire; la célébrité c'est lorsqu'un grand nombre de gens que vous ne connaissez pas vous connaissent), ni les lieux communs (les héros de Victor Hugo sont formidablement stupides), mais dont il se dégage pourtant la nostalgie d'un monde probablement voué à la disparition et à la perte, celui où le roman était le grand genre littéraire universel. Et c'est sur cette disparition prochaine que le rideau ouvert par Cervantès risque de se refermer...

Publié dans littérature

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G
Tiens, un blog homonyme ! Enchantée.C'est intéressant de voir les différentes facettes de la "culture", explorées par chacun.<br />  Je suis une grande admiratrice de Kundera (dans ses romans les plus anciens, en particulier). Mais je ne connais pas "Le rideau". Je le note pour mes prochaines provisions de lectures !<br /> Sinon, une petite suggestion pour ton blog (en toute bienveillance) : pourrais-tu faire des paragraphes, au fil de ton texte ? Cela faciliterait la lecture et du même coup, la rendrait plus attractive.<br /> Bon week-end !<br />  
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