Comment parler des livres que l'on n'a pas lus? de Pierre Bayard

Publié le par Petrus

Comment parler des livres que l'on n'a pas lus s'attaque à un prétendu tabou en formulant l'éloge paradoxal de la non-lecture. Il faut cependant révéler au commun des mortels que ce prétendu tabou n'en est un que pour les rustres et les ignorants. L'auteur de ces lignes, ayant été khagneux, a pu constater qu'il était, dans un certain milieu, socialement valorisant de parler avec brio des livres que l'on n'a pas lus. Une personne de ma connaissance, brillamment reçue au concours de l'Ecole Normale Supérieure, a ainsi, lors d'une épreuve orale, parlé d'un livre qu'elle ne connaissait pas et pour cause, puisqu'il résultait d'une invention délibérée des membres du jury. Son aplomb face au jury a suffisamment impressionné ce dernier pour qu'il lui accorde une note assez exceptionnelle à ce niveau.

Essai d'universitaire revendiqué comme tel, le livre de Pierre Bayard se ressent de cette origine dans sa composition même : préface, épilogue, division en trois parties elles-mêmes divisées en quatre sous parties à peu près d'égales longueurs. Les titres de parties sentent – dans une intention parodique ? - le traité de rhétorique classique : des manières de ne pas lire, des situations de discours, des conduites à tenir. L'idée principal de ce livre porte sur la définition même de « lecture ». Pierre Bayard s'attache en effet à montrer – avec humour et de nombreux exemples littéraires à l'appui - qu'entre la lecture et la non-lecture d'un livre il existe davantage une différence de degré que de nature. Dès lors, la problématique initiale inaugurée par le titre même du livre glisse subrepticement du comment au pourquoi. Autrement dit, ceux qui ouvriraient ce livre en espérant y trouver un manuel destiné à faire d'eux un illusionniste de salon risquent d'être déçus. L'auteur ne nous apprend pas à parler des livres que l'on n'a pas lus, il nous explique pourquoi il est légitime de le faire. L'idée est que la représentation que l'on se fait d'un livre, que la place qu'il occupe dans l'espace littéraire au sein d'une bibliothèque virtuelle, importent plus que le livre lui-même et que pour en avoir une représentation précise, nul n'est besoin de l'avoir lu. Ce qui importe, en dernière analyse, c'est l'apport de cette représentation que l'on s'en fait dans la construction de notre propre individualité.

L'idée peut paraître séduisante et en soulagera plus d'un, mais il y a un hic. Curieusement, Pierre Bayard occulte totalement ce dont son livre est censé parlé : les livres. Il semble ignorer qu'on ne lit pas de la même manière un roman et un recueil de poèmes, un traité historique et un recueil de contes. Il ne tient pas compte non plus de ce moment unique, rencontre presque charnelle avec autrui, que constitue la lecture d'un livre. Il ne tient pas compte du fait qu'on puisse lire non pour avoir lu, mais pour lire, gratuitement, sans idée de profit à engranger. Car c'est bien dans cette rencontre avec une altérité irréductible que lire s'avère non seulement profitable mais nécessaire et que Pierre Bayard, en voulant nous soustraire à une prétendue culpabilité, nous ôte également un plaisir irremplaçable.

Publié dans littérature

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