Mademoiselle Chambon d'Eric Holder
Depuis le temps que ce bouquin d'Eric Holder était – dans une chanson de Vincent Delerm - sur l'étagère entre ce chandelier blanc Ikéa, la carte postale de Maria et la photo de Fanny Ardent, il fallait bien que je le lise un jour. Il s'agit donc de Mademoiselle Chambon, lu dans une édition scolaire qui dissimule mal ma véritable origine (oui, je suis un transfuge de l'Education Nationale).
L'histoire, ou l'argument si vous préférez, est simplissime et tient sur un timbre poste : un maçon tombe amoureux de l'institutrice de son fils et quoique cet amour semble réciproque, il ne se passe rien et pour cause : l'institutrice pour échapper à toute tentation déménage à la fin de l'année. Le thème ainsi évoqué a quelque chose de durassien (on songe à Moderato Cantabile, d'autant plus volontiers que la passion entre le maçon et l'institutrice se noue autour d'un morceau de Bartok), à cette nuance près que le dénouement n'est pas tragique et qu'il n'y a pas d'identification des amants à une passion transgressive précédente (comme dans Moderato Cantabile ou dans le ravissement de Lol V Stein).
L'écriture est également beaucoup plus sage et beaucoup plus conventionnelle que chez Duras. Hormis un recours occasionnel à la première personne qui s'explique dans le récit par le fait que Véronique Chambon, l'institutrice, tient un journal intime, la narration est plate, sans effet de style, se contentant de traduire la réalité sans grandiloquence, sans emphase : points de vue alternés des différents personnages (essentiellement Antonio, Véronique Chambon et Anne-Marie, la femme d'Antonio), récit chronologique, si l'on excepte de brèves analepses (ou flash-backs) destinées à mieux cerner la psychologie des personnages. Le discours au style indirect libre, qui pourrait ailleurs apparaître comme un trait stylistique saillant (on pense aux romans de Zola) semble ici utilisé comme pour aplatir le récit afin d'éviter un recours au dialogue qui viendrait rompre le fil de la narration. Dans le récit, comme dans l'univers décrit, rien ne dépasse.
Car c'est bien cela qui fait la spécificité du roman d'Eric Holder et le distingue des récits durassiens. Là où les héros durassiens vivent leur passion de façon desespérée et dangereuse, évacuant autour d'eux le monde extérieur qui se réduit bientôt à une abstraction, les personnages d'Holder restent tributaires du monde qui les entoure et si la tentation de la passion destructrice existe, elle n'existe que comme tentation. C'est d'ailleurs le piège tendu au lecteur qui voit le désir s'installer des deux côtés et qui attend le moment où la passion deviendra charnelle. Et au moment propice, alors qu'Antonio et Véronique sont assis face à ce champ de blé mûr (la symbolique est tellement évidente que je n'ai pas même besoin de la souligner), Mademoiselle Chambon se dérobe au geste de tendresse esquissé par Antonio et qui aurait pu déboucher sur autre chose. A la rentrée, alors que Mademoiselle Chambon a déménagé et quitté son emploi, le champ de blé n'est plus qu'une « immense surface de terre épaisse, presque noire. » Les horizons ouverts par cet amour pour Antonio – découverte du sentiment artistique, de la perception du beau – se sont obscurcis et Antonio se conformera désormais à ce que l'on attend de lui – en l'occurrence, être membre d'un parti sécuritaire et xénophobe dont son patron est le responsable local - . Ce portrait de la vie en province pavillonnaire – le récit se passe à Montmirail, dans la Marne – est absolument desespérant et il faut être idiot comme un journaliste du Figaro pour avoir intitulé sa critique « Un conte de fées en zone pavillonnaire » (je n'invente rien, c'est dans le micro dossier de presse de l'édition Etonnants Classiques, p.120).
La semaine prochaine ? Les Trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas.